LE CARNET DE VOYAGE DE DANY LE NAIN – EPISODE
3
Enfin ! Je suis arrivé…
Le voyage en bateau a été
infernal, et j’ai bien cru que je n’en ressortirai pas entier… Pour que vous
compreniez l’horreur que j’ai vécu pendant ces 27 jours serré dans un petit tiroir en bois, moi
qui ai le mal de mer, je vais vous raconter ce qui s’est passé. Le camping-car a embarqué dans le
cargo le 30 juillet au port d'Anvers en Belgique. Et, sans me demander mon avis, ils ont
décidé que je ne prendrai pas l’avion avec eux (et après ils osent dire que je fais partie de la famille !) mais que je resterai dans le
camping-car pendant la traversée. Ils m’ont donc installé dans un tiroir de la
cuisine dont ils ont tapissé les murs de papier bulles. Heureusement, le tiroir
était plutôt profond. En le voyant, la première chose qui me vint à l’esprit
fut que je serai bien installé et que j’aurai de la place. « Enfin une
petite attention de leur part ! me suis-je dit. » Et je me suis
laissé installer. Je ne tenais pas debout, ils m’ont donc installé sur le dos,
ne se doutant bien sûr pas que, mon socle étant rond, je pouvais rouler sur le
côté pendant des heures s’ils ne me calaient pas avec un autre objet. Ils ne
m’ont pas calé. Évidemment. Puis ils ont
fermé le tiroir et m’ont laissé seul avec moi-même, dans le noir. Je suis donc
parti à l’aveuglette à la découverte de la « maison » qu’on m’avait
attribuée. Je me suis laissé rouler vers le fond du tiroir, et au lieu de
toucher la paroi comme je l’avais espéré, je me heurtai à une pile de coupelles
et une espèce de pot en porcelaine avec un couvercle. Après deux ou trois
minutes de recherches plus approfondies, j’en déduisis que ce récipient devait
sûrement être un sucrier. N’ayant rien trouvé d’autre, je me laissai rouler
jusqu’à l’autre extrémité du tiroir, en profitant au passage pour m’enfoncer
une énorme écharde dans le pouce de la
main droite. Je tentai de l’enlever, mais, n’ayant pas d’ongle, je n’y parvins
pas. Et bien sûr, ces benêts n’avaient même pas pensé à me laisser une pince à
épiler à portée de main, non… De toute façon, quand ça me concerne, ils
oublient toujours tout ! Bon, je m’emporte un peu… C’est vrai qu’une pince
à épiler n’est pas forcément un objet de première nécessité, surtout lorsqu’on
est un nain de jardin, mais bon… Quand même. Ils auraient pu y penser. Ils
auraient dû. Me sachant avec beaucoup
de temps à tuer devant moi, je décidai d’en profiter pour tenter de me rappeler la blague du fou qui repeint
son plafond. Au bout de vingt minutes de recherches inutiles, je m’endormis.
Les jours qui suivirent se
passèrent sans encombre. Si ce n’est que je fus rattrapé par ma peur du noir et
mon mal de mer ( je découvris d’ailleurs une fonction très utile aux coupelles
du fond du tiroir : sacs à vomi ), que je ne cessai pas une minute de
rouler entre les deux extrémités de mon habitat à cause des secousses, que
j’eus peur à chaque seconde que le bateau chavire ( ça doit être à force de
regarder le film Titanic en boucle ), que le sucrier se cassa en trois morceaux
à force de se balader comme moi d’un bout à l’autre du tiroir, et que je me
suis rendu compte qu’une mouche était restée prisonnière du meuble et que son
bourdonnement m’ait légèrement tapé sur le système. Mais bon. Relativisons. Je
ne craignais plus rien. Ça ne pouvait pas être pire.
Ce fut le dernier jour qui m’acheva. Alors que je vomissais
sans interruption, je fus attiré par un bruit venu de l’extérieur. Un bruit de
serrure. De serrure que l’on force. La serrure d’un camping-car. Notre serrure. Puis il y eut des bruits
de pas à l’intérieur, et des voix d’hommes. Ils étaient plusieurs. J’entendis
les intrus ouvrir les placards, soulever les coussins. L’un d’entre eux monta
dans le lit de Victor, souleva les couvertures. Les hommes parurent déçus. Ils
semblèrent ne rien trouver. J’entendis un bruit de vaisselle cassée. L’un d’eux
ouvrit mon tiroir, et ma mouche en profita pour s’envoler. Tout ce dont je me
rappelle, c’est qu’il était très laid, avec un grand nez et les cheveux roux.
On aurait dit un pirate. Je me suis immobilisé au fond du tiroir. Une secousse
me fit rouler vers l’autre côté. Il me vit. Puis il éclata d’un rire tonitruant
et dit : “Ah, der
Französisch! Sie haben nichts anderes zu tun, um Zwerge zu tragen? Das ist das letzte, was ich zu enziehen!“ *. Et il referma
le tiroir. Ils continuèrent à fouiller pendant une dizaine de minutes, puis
partirent.
Quand le cargo
arriva au port de Montevideo, sa destination finale, et que l’on en sortit le
camping-car, je poussai un long soupir, et me jurai de ne plus jamais remettre
les pieds sur un bateau.
*Ah, les français! Ils n'ont que ça à
faire de transporter des nains ? C'est bien la dernière chose que je volerai !
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